Dans l’histoire des systèmes état-nation du monde moderne, il est rare de trouver une société existant sous l’égide d’un gouvernement auto-proclamé sans aucune légitimité, tant sur le plan interne qu’international.
Des penseurs en sciences sociales, tels que Hannah Arendt et Giorgio Agamben, ont évoqué l’existence de peuples sans État. Ils se réfèrent à des individus chassés de leurs pays d’origine ou ayant émigré, sans obtenir de nationalité officielle dans leur nouveau pays. Ils soulignent que les immigrants non reconnus comme citoyens officiels dans les pays d’accueil sont en quelque sorte des ‘personnes sans État’.
Toutefois, la situation en Afghanistan est encore plus complexe et grave. Pour la première fois dans l’ère moderne, un pays existe sous le contrôle d’un groupe se proclamant gouvernement sans avoir de légitimité ni sur son propre territoire, ni à l’échelle internationale.
Depuis deux ans et quatre mois, l’Afghanistan est confronté à ce destin incertain. La situation diffère des descriptions de Arendt et Agamben, principalement en raison de l’incompréhension des dirigeants actuels sur la notion de pouvoir.
Les résidents d’un pays, non reconnus comme citoyens officiels, se trouvent dans une situation délicate et problématique. En théorie, le statut de citoyen devrait être défini par un cadre juridique, légal et politique officiel, garantissant des droits et protections équitables. Néanmoins, en Afghanistan, cette structure est ébranlée par les actions des Talibans qui, depuis leur arrivée au pouvoir, ont aboli les lois et systèmes établis par le gouvernement précédent, créant un vide juridique alarmant. Cette instabilité du cadre légal et institutionnel engendre une incertitude profonde quant au statut et aux droits des citoyens, soulignant une crise de citoyenneté sans précédent dans le pays.
Une grande partie de la population afghane ne se reconnaît pas dans le gouvernement actuel, accentuant ainsi le fossé entre les citoyens et le régime taliban. Ce dernier n’a pas réussi à gagner la confiance ni la satisfaction de la population en matière de gouvernance.
Mohammad Shirzai (nom fictif), un ancien militaire ayant servi sept ans dans les forces de sécurité, est désormais au chômage, confronté à de graves difficultés économiques. Il exprime son inquiétude face à l’incertitude planant sur l’Afghanistan : “Moi et des millions d’autres vivons dans ce pays sans gouvernement légitime, privés de nos droits civiques.”
Deux ans se sont écoulés depuis la prise de contrôle de l’Afghanistan par les Talibans. Ce groupe, ayant accédé au pouvoir suite à un accord secret avec le gouvernement précédent et des alliés internationaux, impose maintenant sa souveraineté par la force.
La vie des Afghans est marquée par un destin tragique et une impasse désolante. Les Talibans, prétendant contrôler l’Afghanistan par la force, intensifient les restrictions et pressions, surtout envers les femmes. Parallèlement, le chômage et la pauvreté accablante, accompagnés de ventes d’enfants, de trafics d’organes, d’arrestations, de tortures et d’actes terroristes, rendent la situation encore plus alarmante.
Zarin, une jeune fille de Kandahar, a dû abandonner ses études en huitième année. Elle dénonce les restrictions croissantes imposées par les Talibans aux femmes et aux filles, notamment l’obligation de se couvrir le visage en public.
Ahmad Faiz Sultani (nom fictif), ex-dirigeant d’un ministère sous la République, a occupé des postes de haut niveau dans le gouvernement pendant plusieurs années. Suite à la chute du gouvernement, il a été évincé et remplacé par des partisans des Talibans. Confronté à de graves problèmes économiques et au chômage, Sultani subit également des menaces constantes de la part des Talibans, rendant sa situation extrêmement précaire et difficile.
Quelques jours après la chute de Kaboul, Sultani a été contacté par le ministère pour restituer du matériel. On lui avait assuré sa sécurité, mais lorsqu’il s’est présenté pour rendre les objets, il a été soumis à une pression psychologique intense, accusé de trahison pour avoir collaboré avec des étrangers, et exclu de l’amnistie générale promise par les Talibans.
Sultani révèle : “Les Talibans m’ont traité d’infidèle et m’ont menacé. Je suis constamment contraint de changer de domicile pour échapper à leur poursuite. Actuellement, je ne suis reconnu comme citoyen officiel par aucun régime car ni les Talibans ne m’acceptent, ni je ne peux adhérer à leur cause.”
Ces événements, y compris le terrorisme, la torture et les arrestations, montrent que ceux qui faisaient partie du gouvernement précédent ne sont pas en sécurité sous le régime taliban et subissent de fortes pressions.
Mastoura Paykan, étudiante en sciences politiques à Kaboul, témoigne de l’impact de la fermeture des universités aux femmes par les Talibans. Elle se trouve privée d’éducation dans un pays dont le gouvernement n’est reconnu par aucune entité internationale.
La situation actuelle en Afghanistan, où la vie se déroule en marge de la loi et du système de citoyenneté, est perçue comme la principale réalisation des Talibans. Ils ont transformé l’Afghanistan en un pays sans gouvernement ni structure étatique fonctionnelle. En conclusion, il est essentiel d’établir en Afghanistan un gouvernement légal, responsable et centré sur les citoyens pour redresser la situation et reconstruire le pays.”